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Thibault

 

A la ville, Thibault, 40 ans, est ainsi pompier. Basé à Antibes, sur la Côte d’Azur, il pratique la montagne depuis toujours mais a attendu « le bon moment » avant d’oser en faire son métier.

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Florent

 

Florent, lui, a 32 ans et lâche une carrière d’instituteur. Enfant, la montagne lui « faisait peur ». Alors il a voulu la découvrir comme pour la dompter. Au point de ne plus pouvoir s’en passer. Aujourd’hui, il l’avoue, les sommets l’aident à « s’épanouir ». 

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Fanny

 

Enfin, il y a Fanny. A 26 ans, cette Chamoniarde, fille et femme de guide, a toujours vécu au pied des montagnes les plus hautes d’Europe. Mais elle a longtemps hésité avant d’oser tenter l’ENSA. Comme tous les enfants de la vallée, Fanny connaît trop bien le prix parfois terrible de la passion pour l’altitude. Mais chez elle, la perspective de profiter d’un beau lever de soleil, assise au sommet, a été plus forte que la menace du danger…

Trois aspirants, une même passion

 

Ils s’appellent Fanny, Florent et Thibault. Trois personnalités et trois parcours mais une même passion et une même voie : la montagne. Ils ont 26, 32 et 40 ans et ont décidé de tout lâcher pour se consacrer à leur nouvel objectif : devenir guide. Ils ont trois ans pour y arriver, pour passer du statut « d’aspirant » à celui de professionnel.

 

Alors pour eux comme pour les 45 autres « aspirants » de leur promotion, le chemin sera long. En entrant à l’ENSA, l’école nationale de ski et d’alpinisme de Chamonix, tous trois se sont engagés dans une formation de 200 jours répartis sur trois ans.

A chaque fin de session, de stage, ils passeront pas la case examens. A la clé, la réussite, le droit d’aller toujours plus loin, toujours plus haut. Ou le redoublement. Voire l’élimination.


Un rude parcours que tous ont choisi par passion malgré une vie déjà bien réglée.

L’ENSA, la Sorbonne des neiges

 

Un peu d’histoire…

 

L’ENSA. Voilà un acronyme qui a fait rêver des générations de jeunes guides. L’ENSA, c’est l’Ecole nationale de ski et d’Alpinisme. Une institution quasi unique en Europe de part son exigence et son professionnalisme. C’est aussi la seule porte d’entrée vers le métier, le seul moyen d’accrocher un jour au revers de sa veste la célèbre médaille de guide de haute montagne.

 

Tous les plus grands sont donc passés par cette école dont l’histoire remontrait à la Seconde Guerre mondiale. En 1942, le premier ancêtre de l’ENSA apparaît dans les environs de Chamonix. Il s’agit de l’école des Chefs de Cordée, fondée par un enfant du pays : le guide Marcel Bozon. Mais, dès 1936, Roger Frison-Roche et Armand Charlet organisaient les premiers stages de préparation des futurs guides.

 

La véritable histoire commence en fait en 1943. A l’Alpe d’Huez est alors créée l’Ecole nationale de ski. Un organisme implanté ensuite à Val d’Isère puis à Chamonix à partir de 1947. C’est là qu’apparaît l’ENSA, l’école qui a accueilli tous les plus grands : Lionel Terray, René Desmaison, Gaston Rébuffat et tant d’autres…



L'ENSA en chiffres...


10 000m² => la superficie des locaux

80 => le nombre d'agents permanents

45 => le nombre de professeurs

105 => le nombre d'intervenants exterieurs

4028 => le nombre de stagiaires accueillis depuis 1947

34 000 => le nombre de journées de stages déjà réalisées

7,5 => le budget, en millions d'euros

L’ENSA, la Sorbonne des neiges 

L’école aujourd’hui, la barrière du Probatoire

 

Aujourd’hui fondue dans l’ENSM, l’école nationale des sports de montagne, l’ENSA offre une palette de formations très large. Elle prépare ainsi aux métiers de guide de haute montagne, de moniteur de ski, de pisteur-secouriste et même de moniteur d’escalade et de vol libre.

 

Mais ce sont bien les guides qui, aujourd’hui encore, font sa renommée et son prestige. Un prestige entretenu d’abord grâce à la redoutable sélection qu’effectue l’école lors de son concours d’entrée. Le probatoire, cet examen technique très poussé, a en effet fait trembler plus d’un aspirant guide ! Chaque année, ils sont 200 à 250 à tenter leur chance lors de deux sessions d’épreuves.


La première, en mars, permet de jauger les candidats les skis aux pieds. La seconde, bien plus longue, se déroule généralement en juillet. Dix jours durant, les postulants sont soumis à tous types d’épreuves : courses en montagne, marches sur glacier, courses d’orientation… Leur niveau technique est alors scruté, épié, par les professeurs et encadrants. A la fin, moins d’un candidat sur quatre décroche le concours et le droit d’entrer de plein pied dans la formation.


Une sélection d’autant plus rude que pour se présenter au concours, les futurs guides doivent déjà avoir un joli CV d’alpiniste et pas mal de courses à leur actif. Une liste de ces courses doit d’ailleurs être présentée au jury lors de l’examen. Car c’est une particularité de l’ENSA : l’école ne forme pas d’alpinistes à proprement parler. Elle transforme des alpinistes amateurs, et donc déjà éclairés, en professionnels capables d’assurer la sécurité de leurs futurs clients.


Les courses à réaliser pour le probatoire


- 10 courses de "rocher" au dessus de 2500 m

- 7 courses "neige et glace" de 500 m de dénivelé minimum

- 7 courses "terrain de montagne" de 500 m de dénivelé minimum

- 12 courses de ski de montagne comportant 9 randonnées et un raid de 3 jours minimum

- 3 cascades de glace de 100 m minimum

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L’ENSA, la Sorbonne des neiges 

La formation

 

S’il n’y avait qu’un principe à retenir de l’ENSA, ce serait celui-ci : l’exigence. L’exigence qui fait de cette école une sorte de « Sorbonne des neiges », comme aiment à le dire certains guides.

Tout au long de leurs 200 jours de formation, répartis en 5 stages sur trois ans, les aspirants guides vont devoir atteindre ce haut niveau que les profs attendent d’eux. Sans cesse entre formation et évaluation, ils vont apprendre les techniques de survie en montagne, de gestion de groupe, la façon aussi de partager au mieux ce milieu à la fois hostile et si attrayant…

 

En somme, apprendre à parer à tous les dangers. Et cela commence dès les premiers jours de formation avec des épreuves telle que la Course d’orientation nocturne.

Un métier si particulier...



Guide, une rude vie au quotidien


Dire qu’un guide ne compte pas ses heures et ne rechigne jamais à la tâche ne serait qu’un doux euphémisme. C’est pourtant une vérité. Et l’un des aspects les plus durs du métier. Mais quand on commence une course à trois heures du matin et qu’on la termine au retour dans la vallée, dix ou quinze heures plus tard, mieux vaut avoir une sacrée santé ! Sans oublier bien sûr toute la phase de préparation…

 

D’autant que durant ces longues heures, le guide ne se contente pas de marcher. Il veille. Il surveille. Il anticipe. Toujours un œil sur son client, prêt à intervenir à la moindre difficulté technique ou physique.

 

Un métier « dur physiquement et psychologiquement », disent certains. Car le guide gère, dompte, le danger au quotidien. Tous les étés et même de temps à autre l’hiver. Alors certains, fatigués, raccrochent parfois. Dans un métier où, fatigue oblige, la durée d’exercice n’est en moyenne que de 17 ans, rares sont ceux à ne pas se sentir usés ou lessivés à la fin de la saison.

Une difficulté quotidienne qui impose aussi d’avoir toujours, dans un coin de la tête, une solution de repli. Chez les guides, les pluri-actifs sont donc légion. Tantôt moniteurs de ski, maçons ou ouvriers acrobatiques sur les chantiers d’altitude. Une nécessité pour se « vider la tête » mais aussi, parfois, pour mettre un peu de beurre dans les épinards.

 

Car économiquement, l’activité de guide peut être fragile. Une mauvaise météo et c’est toute une saison qui prend l’eau. Des courses annulées, des sorties impossibles, font perdre de l’argent. C’est aussi là l’un des paradoxes de ce métier : il faut savoir dire non, refuser une course ou renoncer, quitte à se priver de revenus. Rares sont les métiers où la gestion du risque rencontre ainsi une telle pression financière…

Un métier si particulier...



Les conditions d’exercice


Le monde des guides est un petit univers aux grandes disparités. On compte, en France, 1500 guides de haute montagne. Parmi eux, 55% sont totalement indépendants. Les autres travaillent essentiellement eux aussi comme indépendants mais rattachés à une Compagnie. Enfin, quelques guides, sans doute moins de 5%, sont salariés. Ils travaillent alors pour des organismes touristiques ou de formation.

 

Les compagnies historiques

1821 : Compagnie des guides de Chamonix

1850 : Compagnie des guides de Courmayeur

1863 : Compagnie des guides de Bagnères-de-Bigorre

1864 : Compagnie des guides de Saint-Gervais

1872 : Compagnie des guides de Bagnères-de-Luchon

​1876 : Compagnie des guides de la Vanoise

Parmi les Compagnies de guides, quatre en France font figure de compagnies historiques, dont celles de Chamonix et de Saint-Gervais Val-Montjoie. Y entrer est souvent un privilège, tant le processus est codifié et ancré dans les mœurs.


Le jeune guide souhaitant intégrer une Compagnie doit en effet se faire coopter. Il est alors présenté par un autre guide à l’assemblée générale de la Compagnie qui doit accepter son intégration après un vote. La majorité des deux tiers est alors requise. Beaucoup vivent ce passage comme une « seconde acceptation », à l’image de Julien Pelloux.

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Au sein de ces compagnies, la répartition du travail est une vraie tradition. Depuis 150 ans, le Tour de rôle n’a en effet quasiment pas changé. Chaque soir, vers 18 heures, les guides à la recherche de travail se rendent en effet dans une petite pièce de leur compagnie. Là, une sorte de tour de table commence. Les courses du lendemain sont annoncées. Et chacun leur tour, les guides vont les prendre où les décliner. Une mécanique ancestrale qui permet une répartition plus équitable du travail.

Le statut des guides les rapproche des professions libérales. Mais les rémunérations sont loin d’être au diapason. En moyenne, un guide touche 300 euros par jour. Une somme à laquelle il faut enlever la part reversée à la Compagnie (environ 14%) et les impôts ou autres taxes (environ 50%). Soit un salaire d’environ 150 euros net par jour, une solde finalement assez modeste au regard des longues heures de marche réalisées.

 

Alors, pour parer aux éventuelles difficultés, une vraie solidarité s’est organisée dans la profession. Des caisses de secours ont en effet très vite vu le jour pour venir en aide aux guides blessés ou aux familles endeuillées. C’est notamment pour les financer que les grandes Compagnies organisent chaque été leurs traditionnelles « fêtes des guides ». 

Un monde d’hommes… et de citadins !

 

 

A l’image de Florent et Thibault, les guides d’aujourd’hui ne sont plus forcément des « enfants du pays ». L’image du jeune Chamoniard qui, toute sa vie durant, rêve de passer le concours de l’ENSA est désormais éculée.

Sur les 1500 guides recensées en France, plus de la moitié viennent en effet de villes ou de régions non montagneuses. Le processus a commencé il y a bien longtemps avec quelques grands noms célèbres : Rébuffat ou Desmaison, malgré leurs CV d’alpinistes, n’étaient pas à l’origine des « montagnards pur jus ».

Gaston Rébuffat, Marseillais d’origine, fut en effet en 1945 le troisième « étranger » à intégrer la prestigieuse Compagnie des Guides de Chamonix. Un privilège jusqu’alors réservé aux Chamoniards et dont seuls Roger Frison-Roche et Edouard Frendo avaient pu bénéficier avant lui.

Une ouverture aux non-Savoyards qui trouve aussi ses origines dans une vieille tradition : celle des Bleausards, ces jeunes grimpeurs parisiens qui, dans les années 20 et 30, s’entraînaient à Fontainebleau toute l’année avant de rejoindre le massif du Mont-Blanc l’été venu.

 

Aujourd’hui pourtant, certains cherchent à retrouver cette culture de vallée. A l’image de la Compagnie de Saint-Gervais qui mise sur les « jeunes du cru ». 

Mais si la présence de nombreux citadins dans le petit monde des guides peut, parfois, surprendre, celle prépondérante des hommes est nettement moins étonnante.

 

Le monde de la montagne est en effet un univers très masculin. Les statistiques sont rares. Mais à titre d’exemple, pour l’alpinisme de très haut niveau, seuls deux femmes ont jusqu’à aujourd’hui réussi l’ascension des 14 « 8000 » de la planète… contre 31 hommes.

Pas étonnant dès lors que les Dames soient aussi moins nombreuses à exercer le métier. Elles ne seraient en effet qu’une vingtaine sur les 1500 guides recensés en France. Soit moins de 1%. Un taux inférieur à celui des pilotes de chasse !

 

La première d’entre elles, Sylviane Tavernier, a été intronisée à Chamonix il y a trente ans maintenant. Et il a fallu attendre 2013 pour que la vénérable Compagnie chamoniarde accueille sa deuxième femme.

 

Des efforts pour féminiser la profession sont pourtant véritablement entrepris. A l’image de Fanny, elles sont ainsi six demoiselles à suivre cette année la formation de l’ENSA, contre deux seulement l’année précédente. Un vrai record !



Les métiers les moins féminisés


- Cadre commercial : 29,9%

- Technicien agricole : 24,7%

- Ingénieur dans l'industrie : 22,5%

- Technicien télécommunications : 10%

- Technicien informatique : 5%

- Pilote de chasse : 5%

- Guide de haute montagne : 1%

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Alors pourquoi ?

 


Aussi étrange que cela puisse paraître, malgré les risques qu’ils encourent, les guides ont souvent bien du mal à expliquer ce qui les a conduits vers ce métier. Certes, le montagnard est souvent réservé. Parfois même taciturne. Mais il y a forcément des raisons qui poussent à dédier sa vie à la montagne…

 

 

Emmanuel Ratouis, « le psy des montagnards »

 

Skieur de l’extrême au CV impressionnant, Emmanuel Ratouis, un jour, s’est posé. Son idée : comprendre d’où lui venait cette envie, ce besoin, de vivre sans cesse dans la prise de risque. C’est dans la psychogénéalogie qu’il a trouvé la réponse.

 

A travers son parcours personnel mais aussi grâce à une plongée dans son histoire personnelle, il a réussi à comprendre les raisons profondes et inconscientes qui l’ont conduit à choisir cette vie et cet engagement.

 

S’il reconnaît que la démarche des guides relève parfois de l’égo, de la quête de reconnaissance, Emmanuel Ratouis estime qu’il ne faut pas s’arrêter là. Pour lui, les raisons sont plus profondes. Moins conscientes.

Le choix de ce métier relèverait en effet de la symbolique. Le rapport au père, le poids d’un deuil non fait sont autant de raisons qui peuvent expliquer l’attraction de certains pour la montagne.

 

Un questionnement et des réponses qui font parfois débat dans la communauté montagnarde. Mais, peu à peu, les guides s’y intéressent. Même l’ENSA a demandé, l’an dernier, à Emmanuel Ratouis de venir discuter avec ses étudiants.

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Chamonix, un lieu à part

 

Depuis toujours, Chamonix est LE lieu de l’alpinisme en Europe. La capitale des grimpeurs. Le point de convergence de tous les amoureux de la montagne. Une histoire au sommet commencée en 1786, année de la première ascension du Mont-Blanc par le docteur Paccard accompagné de Jacques Balmat, le premier des guides.

 

Dans la foulée, la première compagnie des guides apparaît. A Chamonix, évidemment ! Mais la capitale de l’alpinisme et ses guides ont aussi payé un lourd tribu à la montagne. Le cimetière de la ville en témoigne aujourd’hui encore.

 

Sur les stèles de Chamonix, les grands noms de l’alpinisme sont nombreux. Whymper, Herzog et tant d’autres. Aujourd’hui encore, un monument posé au milieu du cimetière témoigne et rend hommage à tous ces alpinistes, tous ces guides, morts en montagne.

 

Le contrepoids, c’est l’ambiance qui règne parfois dans la ville. Souvent, les Chamoniards eux-mêmes disent que le village est morbide. La vie là-haut est en effet trop souvent rythmée par les enterrements de proches…


Un seul mot : partage

 

Pourquoi ? Voilà sans doute la seule question qui subsiste une fois plongé des les secrets de la vie d’un guide. Pourquoi accepter d’endosser la responsabilité, la vie, d’un client ? Pourquoi s’engager au point de déjouer les risques au quotidien ?

Le seul plaisir d’un lever de soleil sur une crête ou un sommet ne peut pas suffire à tout expliquer. La vérité des guides est ailleurs. Elle tient en un mot : partage.

 

La vocation du guide se trouve en effet là. Dans le partage. Passionné par la montagne, le guide n’a d’autre objectif que de la faire découvrir au plus grand nombre. Faire partager des paysages hors normes et des valeurs devenues aujourd’hui assez rares : le goût de l’effort, l’humilité devant les éléments.

 

En quelques sorte, le guide sert à découvrir un nouvel horizon. A graver dans la mémoire de ses clients un petit coin de ciel bleu, le souvenir d’un moment hors du temps. De vrais passe-montagnes.

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                             Crédits Webdoc : Jordan Guéant / Maxime Quéméner / Azedine Kebabti / Thierry Ferreux


                                                                   Intégration web : Xavier Demarquay


















"Passe Montagne" en 26 minutes


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